mercredi 8 décembre 2010

Lecture: Poussière (Dusty Answer), Rosamond Lehmann, 1927

                                                  tableau de  Rolf Armstrong: Judith...


  La vie commence avec les souffrances quand les rêves se taisent. Poussière retrace la douloureuse étape du passage de l’adolescence solitaire et merveilleuse à l’instant décisif de l’âge adulte. Judith, une jeune fille de bonne famille à laquelle on peut s’identifier sans peine pour ses rêves, ses émois et chagrins, sort enfin de sa léthargie vaporeuse, l’année de ses dix-huit ans, lors de son entrée à Cambridge. 
  Jusqu’ici, tout ce qui avait un sens pour elle se résumait à ses inaccessibles voisins, ces figures floutées et idéales qui ne lui laissaient que peu de place dans leur univers coloré : quatre petits garçons et une petite fille, tous cousins, revêtus d’une brume mystérieuse, parfaite dans ses songes avec qui elle jouait, enfant. Puis, ils étaient partis, avaient fermé la maison, et n’étaient revenus que des années plus tard, peu de temps avant que Judith ne parte pour l’université. L’un avait disparu au front. 
 Désireuse de plaire aux trois jeunes hommes et de les comprendre – enfin ! – elle surmonte son manque de confiance, sa timidité respectueuse et parle avec chacun, les illumine de sa personnalité en fleur. Pourtant, elle les sent toujours lointains, indifférents, cette indifférence qui se transforme la nuit dans ses rêves éveillés, en quelque chose de plus humain, d’intéressé à son égard. Cette fascination, toujours grandissante, se reporte sur l’un d’eux, l’énigmatique Roddy. 
 Mais ses études l’en éloigne et elle se retrouve bercée par un autre rythme avec sa nouvelle vie à Cambridge. Là encore, l’espoir côtoie la déception, laissant d’autres blessures et on s’aperçoit que Judith cultive le désir du désir de manière constante et refuse la trop ennuyeuse réalité. 
  Des lignes perlées de rosée - la rosée du printemps de la vie, de l’attente heureuse ! - qui disparaissent peu à peu en laissant un  goût amer, terriblement nostalgique. Judith mûrit, connaît deux grandes déceptions amoureuses mais ce sentiment de rejet la rend forte, paradoxalement. La vie, tout simplement - celle qu’elle voulait vivre si ardemment, si absolument -  se faufile entre les chagrins et la conduit à elle-même.
  A travers les contrastes des feuilles d’automne et des verts estivaux, Rosamond Lehmann partage les toutes premières expériences d’une jeune fille éprise de liberté. L’œuvre peut ainsi paraître commune aujourd’hui – qui n’a pas vécu ce que Judith découvre, au fil des pages ? – mais qui peut se vanter d’en avoir fait un écrin découvrant un désir de liberté féminine remarquable en ces années 1920, rendant hommage également aux souffrances du cœur que l‘on tait généralement par pudeur toute son existence ?
  Des bains dénudés dans la forêt scintillante aux promenades dorées dans la campagne d’été, Poussière est un livre qui célèbre les sens : des images de nacre et d’écarlate, des parfums de roses tressées dans les cheveux, le doux murmure d’un baiser au milieu d’un champ soyeux… Judith vit tour à tour dans un songe, ses figures ne sont pas celles de la réalité, puis se réveille brusquement dans le réel, écrasée de déception et de douleur. Qui a encore le désir de vivre après s’être senti trahi, atteint dans sa fierté ? L’adolescence est aussi l’âge de l’orgueil. Ses rêves ne sont plus que poussière et ses demandes incertaines, si elles furent exaucées à moitié ne l’ont pas satisfaite. 
 Roddy et Jennifer ont également disparu, petite particules du passé qui ne reviendront jamais. Et c’est plutôt d’un foisonnement de détails, d’une atmosphère de lumière dont elle se souviendra plus tard, de courts instants de félicité qui n’existèrent que par contraste aux grandes peines de cœur.
  Gros succès en 1927 en Angleterre, on ne perd sans doute pas beaucoup des nuances du texte grâce à l’excellente traduction Phoebus. Le caractère du livre nous poursuit, une fois le volume refermé et on regrette même de l’avoir lu en songeant à ce qui en serait si on avait à nouveau à le découvrir.
  Tandis que j’écris ces lignes, de minces flocons blancs se répandent dans les rues tristes et grises de Paris. Ah ! Que j’aimerais être à Cambridge, dans une chambre universitaire aux couleurs beige et mûre, dégustant des pommes et un thé, au coin d’un bon feu et regardant la neige !!! 

dimanche 21 novembre 2010

Cinéma : Sun Valley Serenade (1941)


Affiche de l'époque, 1941

Avec John Payne, Sonja Henie et the Glenn Miller Orchestra, film de H. Bruce Humberston

  Connaissez-vous les feel-good movies des années 40 ? Celui-ci en est le parfait exemple ; en fait, il est tellement parfait dans son genre qu’il mériterait qu’on le regarde au moins deux fois par semaine ! Ce film dégage un charme désuet difficilement égalable ; ne soyons pas naïfs, la bonne humeur innocente présentée ici était largement préconisée par les studios, qui en 1941, avaient intérêt à faire oublier le contexte international. Et même avec ces objectifs, il était difficile de ne pas mentionner la seconde Guerre c’est à dire présenter Sonja Henie sans expliquer sa provenance Européenne : c’est pourquoi, elle est ici une réfugiée Norvégienne très souriante et insouciante, nullement marquée par l’horreur du Nazisme. Ah ! Que c’était beau à Hollywood, que c’était loin de tout ! Donc, avec un peu de recul, on devine plus sous cette guimauve savoureuse que constitue le film, surtout avec la présence de Glenn Miller et de ses musiciens : son talent incomparable est doublement émouvant. Voir son orchestre et lui-même jouer des morceaux mémorables, filmés de si près… On a l’impression d’assister à un spectacle exceptionnel, immortalisé pour les siècles à venir. Et puis, pour en revenir à l’omniprésence de la guerre, savoir qu’il disparaîtra seulement trois ans plus tard, rend sa présence dans le film encore plus touchante.
Ce doit être la combinaison de la musique, principale vedette avec le thème, I know Why, du charme de John Payne (spécialement quand il joue du piano, un peu grimaçant), et de Sonja Henie bondissant sur une patinoire entièrement peinte en noir qui rend le tout si attachant. Bien sûr, il s’agit d’une œuvre mineure de l’usine Hollywoodienne, mais, comme pour tous les musicaux, la magie de ce genre de production fonctionne par morceaux, par passages. Certaines scènes ont vieilli, Milton Berle n’est pas toujours drôle et le scénario a été manifestement rafistolé sur un coin de table. Mais, il reste de quoi s’enthousiasmer ! C’est sans doute parce que d’autres scènes compensent celles là : Chatanooga Choo Choo avec les Nicholas Brothers et Dorothy Dandridge n’a rien à envier aux grandes comédies musicales, et la championne de patinage de l’époque (toujours inégalée aujourd’hui en termes de récompenses), S. Henie était un ingrédient atypique et précieux pour le film. Que dire de plus ? Il existe des petits films qui marquent un avant et un après dans votre vie, pour moi, celui-ci en fait partie. La scène de la poursuite en ski m’a même donné envie d’essayer ce sport, c’est tout dire !



lundi 8 novembre 2010

Portrait: Isadora Duncan



« Mon art » ne cesse t-elle de répéter dans son autobiographie (Ma Vie publiée après sa mort, en 1928) à propos de son métier.
   Qu’en reste t-il aujourd’hui ? D’elle-même, plus grand-chose : un film de quelques secondes la montre en train de virevolter lors d’un récital en plein air. Quelques photos dont celle ci-dessus (signée A. Genthe), très élaborées mais témoignant si peu de ses descriptions enflammées qu’elle rédige dans son livre. Il est vrai que sa danse était révolutionnaire par la libération prônée des corps presque nus et des mouvements d’exaltation laissant transparaître sa vie intellectuelle. Son inspiration puisait dans les fresques du Parthénon, dans les lancées enivrantes des nymphes Antiques disparues… Sa recherche était celle de la beauté… Isadora, artiste éphémère, dont le talent fut décrit par elle seule puisque sur les quelques instants où elle apparaît, filmée par la caméra, on pense voir une femme ivre ; une danse désinhibée à laquelle se mêle une joie presque folle… Comment croire en ses aspirations, on la voit si peu danser ! Et aujourd’hui, la danse contemporaine a effectué un long parcours depuis sa contribution, parcours où son nom ne figure pas aussi souvent qu’on aurait pu le penser : qui danse encore comme elle ? Plus grand-monde.
  Depuis qu’elle a quitté les Etats-Unis où elle est née en 1877, elle compose ses chorégraphies personnelles, très jeune, dans les petits appartements qu’elle occupe entre New York, Londres et Paris avec sa famille jusqu’au milieu des années 1900. Et bien sûr, selon son autobiographie, c’est elle qui déjà toute petite nourrit les siens grâce à son astuce et son audace. Au fur et à mesure que les pages du livre se tournent, on la soupçonne de plus en plus de romancer son histoire, avec une légère touche de mensonge et beaucoup de romantisme : l’enfance pauvre, l’éveil à travers les arts et la libération qu’ils procurent, les amants dont les noms sont tus qui se meurent pour elle et l’expérience révélatrice de ses accouchements. Le plus grand drame de son rôle de mère, la mort de ses enfants reste néanmoins une vérité certaine et douloureuse qu’elle subit d’étrange manière en compagnie d’Eleonora Duse, la rivale Italienne de Bernhardt, celle-ci lui répétant constamment que pleurer est nécessaire… Tout est vécu à l’extrême chez Isadora, aussi bien sa danse – lorsqu’elle décide d’improviser sur la Marche Funèbre de Chopin – que les évènements pénibles de sa vie privée. Mais elle est Isadora Duncan, une artiste réelle dont l’exaltation frôle la perfection artistique ; on ne peut que l’admirer. Il est alors évident que son influence sur le XXe siècle se concrétise par la création d’une nouveauté incontestable, susceptible d’évoluer par la suite. Elle-même cependant réalisa à quel point sa danse, telle qu’elle voulut l’enseigner pendant des années, ne pourrait se perpétuer longtemps après sa disparition par l’indiscipline même de ses élèves qui réclamaient plus d’indépendance et ne vibraient pas de manière aussi absolue qu’elle lorsqu’elles apparaissaient sur scène. "Son art" n'est pas intemporel. 
  Il est certain qu’Isadora possédait une réelle sensibilité artistique ; d’abord par sa curiosité toujours grandissante pour le beau qu’elle poursuivait sans cesse à la fois dans la musique mais aussi dans la peinture, au cours de ses voyages. Et pour sa grande participation à la création de la danse contemporaine. Elle l'aurait même inventée, mais personne n'ose s'en souvenir, tant les mouvements paraissent démodés, aujourd'hui. Il est vrai que libérer les corps des ballerines, se mouvoir comme des bacchantes ou nymphes Grecques… c’était aussi choquer son époque, et faire avancer les choses. Mais le fait de mépriser ceux qui étaient réfractaires à sa danse en général parce qu'ils ne la comprenaient pas (comment les en blâmer?), c’est incontestablement très prétentieux, surtout quand la majorité des dits réfractaires étaient composés de ses compatriotes, les Américains ! En plus de ce dédain, elle publie dans son autobiographie des extraits de lettres d’admirateurs, le summum de la prétention. Il semble que l’art et l’orgueil ne fassent pas bon ménage : son plus grand défaut ayant été celui de juger elle-même son talent en oubliant les critiques des autres, « son art » en sortira toujours amoindri, avant sa disparition probable dans la mémoire artistique.

samedi 6 novembre 2010

Impressions de voyage: la magie d'un instant sur un pont vénitien


    
                              

  Je m’avance sur le quai, le long du Grand Canal – la foule et la chaleur y sont étouffantes. On dit que Juillet est la mauvaise saison. En profiterai-je ?
  Maintes fois décrite, adulée, reconnue ville d’art et d’inspiration, Venise fascine depuis sa création. Elle est pendant des siècles redoutée pour l’habileté de ses marchands, citée en triste exemple pour les épidémies de peste et de choléra qui aiment à s’y répandre dans les eaux insalubres des canaux. Mais, sa fondation en fait déjà une ville au caractère unique, et c’est, selon moi, ce que l’on devrait le plus retenir. Une cité sur les eaux, tenant presque par miracle… Oublions les chagrins, la mort qui y rôde, Thomas Mann et les autres… comme caractéristiques de la ville, j’entends. Venise est changée, aujourd’hui, elle a les couleurs arlequin des cités estivales, joyeuses, une gaie inspiration pour les poètes lassés de se morfondre toujours en des vers fatalistes. On ne pense pas à La Mort à Venise quand on se perd avec insouciance dans le dédale de ruelles aux parfums de fleurs accrochées au dessus de nos têtes, sur les balcons scintillants. Les brèves échappées de lumières, dont parle plutôt l’auteur Frances Mayes, se distinguent certainement à travers le verre de Murano par transparence… et elles se reflètent sur tous les toits de la ville.

  Je découvre, émerveillée quelques exemples des trois mille ponts de la Sérénissime. Ils sont construits un peu tous de la même façon, deux escaliers joignant une petite terrasse propice aux rêves éveillés. « Che il bel Sogno di Doretta », je murmure les premières notes, me perds dans les coulisses de ma mémoire. Entre Nice et Paris… il subsistera Venise…

   Une branche de saule penche sur les eaux, provenant d’un des jardins cachés si habilement aux nuées de touristes. Sur le Campo dei Frari, deux gondoliers discutent assis sur des chaises basses. Je désire les prendre en photo, ils sont très sollicités, admirés par les passants. Je réussis. Plus tard, je repasse sur la même place ; des violonistes jouent légèrement sous la chaleur accablante le printemps de Vivaldi. Une fois dans la Basilique, on peut encore les entendre, sous les voûtes. Puis, sans transition aucune, ils commencent O Sole Mio… Je l’aurais entendu, si ce n’est sur une des luisantes gondoles, au moins joué par des vénitiens !
  Nous rejoignons le Grand Canal, nous frayons un passage sur le Rialto : comment le pont peut-il tenir ? Trois cents personnes à peu près s’agglutinent sur les bords ; il faut beaucoup de recul pour imaginer le Canaletto, assis avec sa palette, retraçant cette réalité qui brille pourtant toujours aujourd’hui.
  Plus loin encore, la place Saint Marc est défigurée. Des estrades dressées en vue de plusieurs concerts durcissent l’harmonie de l’architecture. Je suis machinalement les pigeons au milieu des touristes innombrables ; sur la gauche, près de la mer parsemée de canots à moteur, se trouve le pont des soupirs, dissimulé sous une bâche publicitaire : les travaux n’empêchent pas les admirateurs passionnés d’en photographier quelques centimètres!

  Nous retournons sur nos pas, avec une impression d’inabouti ; Venise ne m’a pas encore livré tous ses mystères… Pourquoi ce sentiment de tristesse quand on s’en éloigne, en route vers Mestres, un retour vers le Laid, le réel également, la monotonie et la lenteur de la vie… Venise, elle, disparaîtra un jour et c’est précisément ce fait qui nous presse de revenir… Entendre les transports de l’Hiver de Vivaldi, dans le froid marin et se retrouver seule entre ces rues tranquilles, non pas éteintes mais lumineuses : c’est une certitude, j’y reviendrai.   

mercredi 3 novembre 2010

Lecture: La maison sur le Rivage (The House on the Strand), Daphné Du Maurier, 1969

                            
                                                    Couverture de l'édition originale, 1969

  Isolée sur la lande de Cornouailles, à une époque où l’esprit Occidental se modifie à chaque instant qui s’écoule, Daphné Du Maurier rédige l’une de ses dernières œuvres, La Maison sur le Rivage : il est évident que le temps a passé, depuis Rebecca et l’aventureux Jamaica Inn.
  La romancière - même si ses inspirations puisent toujours dans les ouvrages du XIXe siècle - a simplifié sa manière d’écrire et préféré se concentrer sur l’idée ambitieuse de son roman – à la fois très évocatrice et poétique, nous y reviendrons - délaissant cette impression de mystère, cette ambiance particulière qui se dégageait de ses travaux précédents unique et envoûtante, mais invisible ici.
  Néanmoins, la première personne du singulier, si chère à l’artiste, est à nouveau utilisée, elle l’avait fait dans ma cousine Rachel, quelques années plus tôt, en narrant un point de vue masculin : elle garde certains de ses procédés habituels afin de décrire l’intrigue selon l’œil d’une seule personne, une complicité voulue avec le lecteur. Cette vision est celle de Dick, un chômeur Londonien, fatigué de son épouse et de ses beaux fils ; il recherche inconsciemment une échappatoire quelconque pour se dégager de cette existence qui ne le satisfait pas ; lorsque son ami de jeunesse, le professeur Magnus, l’invite dans sa grande demeure à Kilmarth, près de Par, pour ses vacances, et lui prie de goûter un nouveau stupéfiant qu’il vient de mettre au point, Dick accepte de manière à se retrouver plongé, sous l'effet de la drogue, au début du XIVe siècle et de vivre par bribes le destin révolu de quelques personnages du passé sur les mêmes lieux que ceux du présent.
  Au-delà des descriptions sans couleur, d’une qualité plus que vacillante, qui correspondent sans nul doute à une lecture de plaisir et, dissimulée sous l’arrangement des mots bien moins qu’artistique, Daphné Du Maurier offre, en dépit de ces aspects amateurs, une réelle profondeur dans l’idée de son ouvrage. Simple mais mené avec justesse, le sujet ne peut que séduire le lecteur par cela même que cette pensée, tout homme l’a déjà effleurée dans sa vie : quelle magie serait-ce si nous pouvions remonter le temps et apercevoir nos ancêtres, habillés autrement, avaient-ils d’ailleurs les mêmes préoccupations que les nôtres ? Du  Maurier veut y répondre, comme si l’unique éventualité puisait sa source dans la poésie - pourquoi s’encombre t-elle alors de détails historiques qui compliquent l’intrigue ? Par souci de réalisme ? Ah ! Mais quelle maladresse si l’on considère que tout cela n’est que rêve depuis le début, depuis que le savant Magnus a inventé cette drogue - il n’y a là rien de scientifique, mais une poésie inhérente à l’histoire de l’humanité. L’héritage du passé, de ces cerveaux humains qui ont péri en laissant une trace palie sur de vieux registres… Cet héritage qui subsiste dans notre mémoire collective, petite partie de l’inconscient et qui resurgit comme par magie grâce à une drogue fantaisiste, enfin capable de la réanimer…
  Et en même temps… Critique du présent – Dick est malheureux, n’a pas sa place en ces années 1960 – critique du passé – remarquons au passage les sarcasmes abusifs de l’auteure quant aux mœurs de l’époque, aux traditions légères des moines et curés, aux conventions sociales et maritales : Du Maurier fait preuve d’une ironie naïve et quelque peu caricaturale, une ironie due à son temps ; un abus de savoir, privilège de son époque, beaucoup plus libérée – où et quand mener une existence heureuse ? Une amertume peu dissimulée : tout siècle est mortel ou de violence ou d’ennui.
   Dick ressent désormais un lien qui l’unit à cet homme du XIVe siècle, Roger, qu’il suit durant les principales étapes de sa vie : en est-il la réincarnation ? Ou ces personnages médiévaux sont-ils des fantômes ? L’auteure semble suggérer des liens plus étroits, immuables entre toutes époques confondues, une fraternité dépassant le temps…
  Intérêt scientifique, historique… Non, c’est bien plutôt une comparaison des psychologies que Du Maurier entreprend dans La Maison sur le Rivage, un peu comme si elle avait vécu une aventure semblable à celle de Dick dans la petite ville de Kilmarth et observé les comportements des princes disparus dans la brume de Cornouailles. Entre le XIVe siècle le XXe siècle, les humains ne paraissent pas avoir changé, elle l’affirme comme si elle l’avait vu et rompt ainsi la magie instaurée : l’imagination dorée qu’on stimule en invoquant la différence s’échoue contre les rochers du bon sens. Et, elle aura sans doute raison.