A Spy in the House of Love, Delta of Venus, Henry and June... Sa manière de concevoir la vie et de l'écrire, à travers l'amour, est pour moi une révélation littéraire. La liberté transgressive qu'elle s'était octroyée, perce sous son calme et suggère toute la douceur de son rapport au monde. Il suffit de l'écouter à la fin de sa vie, si paisible, après une existence des plus tumultueuses.
Je referme son journal et telle une obsession, je ne pense qu'à la retrouver dans une lecture prochaine.
The Lovers, Marie-Francois Firmin-Girard (1838-1921).
La lecture de Sylvie (1853), intégrée au recueil Les Filles du feu, est à
rapprocher de ce poème composé la même année :
Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout
Weber ;
Un air très vieux, languissant et
funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes
secrets.
Or, chaque fois que je viens à
l'entendre,
De deux cent ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize... Et je crois
voir s'étendre
Un coteau vert que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coin de
pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres
couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre les
fleurs.
Puis une dame à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits
anciens...
Que, dans une autre existence
peut-être,
J'ai déjà vue ! - et dont je me
souviens !
Dans la présentation de la nouvelle (édition le Livre de Poche),
il est écrit : "Si le récit de Nerval témoigne de quelque
chose, ce n'est pas de la persistance du tir à l'arc dans le pays de
son enfance [le Valois], ni même du déchirement vécu entre les
figures féminines de "sainte", de "fée" ou d'"actrice". C'est plutôt de la difficulté à donner du sens à sa
vie quand le morcellement, la discontinuité, le décalage se
manifestent dans ce qui nous relie le plus à nous-mêmes : nos
souvenirs".
Affiche française du film hollywoodien, "Green Dolphin Street", de Victor Saville, 1947.
Aujourd'hui, lire un roman d'Elizabeth Goudge, c'est comme revenir vers un siècle qui n'existe plus : publié en 1944, ce livre de presque 800 pages rencontra un certain succès, accru par un petit film américain dont la musique sera reprise par de nombreux jazz men.
L'histoire est tout simplement passionnante : dans les années 1840, deux jeunes filles de bonne famille, sur l'île anglo-normande de Guernesey, tombent amoureuses du même homme. Celui-ci marque une préférence pour la cadette, Marguerite, blonde et joyeuse, à l'aînée, Marianne, petite brune caractérielle plus ingrate. Pourtant, il semblerait que William peine à différencier les deux prénoms et se trompe souvent, un détail qui changera le cours de leur existence à tous les trois. En grandissant, William devient marin et quitte l'île pour le vaste monde. Des années plus tard, les deux sœurs reçoivent une lettre de sa part : le jeune homme s'est établi comme colon en Nouvelle-Zélande et demande à son amour d'enfance de le rejoindre. Plusieurs mois après, ce n'est pas Marguerite qui débarque mais Marianne...
On retrouve dans ce livre un thème cher à l'écrivain Thomas Hardy, à savoir la fatalité, ce qui fait de Goudge, selon moi, l'une de ses héritières : une erreur idiote, dictée par d'obscurs entrecroisements du destin, est commise par un personnage jeune et irréfléchi. En résultat, toute sa vie portera cette marque en affectant non pas seulement lui-même mais d'autres êtres chers. Et tout l'enjeu reste de survivre à cette erreur, de continuer à se construire et à réparer sa faute auprès de ceux à qui il a fait du tort.
L'autre aspect séduisant de ce long roman est certainement celui de l'aventure : Marianne et William, enfants, rêvent de la Nouvelle-Zélande, du danger causé par les luttes contre les Maoris, des grandes forêts de pins kauri et espèrent s'y rendre un jour - pour Marianne, en tant que femme, qui ne pourra jamais se faire marin, ce désir risque fort de devenir frustration.
Retenons cette idée selon laquelle se faire pionnier, c'est rechercher une satisfaction qui ne vient jamais : ayant soif de découverte, les deux jeunes gens quittent une terre qu'ils aiment en recherchant quelque chose qu'ils peinent à définir, mais ils seront à nouveau confrontés à leurs désirs contrariés dans le Nouveau Monde. Heureux ceux qui sont restés chez eux, heureux sont-ils de s'en contenter, telle Marguerite, qui dédit sa vie à Dieu (E. Goudge était très pratiquante) et s'épanouit à Guernesey malgré son renoncement à l'homme qu'elle ne cessera d'aimer.
Les descriptions des différentes îles sont merveilleuses : si embrumées par l'imagination et en même temps si réelles - on veut y croire ! - l'auteur retranscrit avec crédibilité la vie des colons, les Maoris et leurs rites, les guerres et l'économie naissante. Le Pays du Dauphin Vert se rapporte à l'île anglo-normande, tandis que longtemps, les personnages ne trouvent pas de nom pour qualifier la Nouvelle-Zélande, jusqu'à l’appellation du Pays des Verts Pâturages, donné par William, pour désigner le "pays particulier" de sa fille adorée, Véronique, qui vivra dans l'île du Sud, en compagnie des moutons et de la nature douce de cette contrée qui a su la contenter, à la différence de ses parents.
Pendant toute la durée du livre, Marguerite, William et Marianne, à n'importe quel âge, se voient chacun comme les enfants qu'ils étaient lorsqu'ils se fréquentaient au Pays du Dauphin Vert. La description de leurs souvenirs, pleine de nostalgie et leur ressenti d'enfants qui continue de les habiter, font ressortir plus cruellement le décalage avec leur vie adulte : comme elle est loin de ressembler à leurs joyeux rêves enfantins!
Ce livre porte l'empreinte des grandes fresques, à l'exemple d'Autant en emporte le Vent de M. Mitchell. Comme Scarlett qui revient à la terre familiale à la fin de l'oeuvre, le couple de pionniers retourne au pays natal, poussé par un sentiment d'inachèvement. Telle une boucle, ce roman se termine sur les plages de Guernesey, pays où l'enfance n'aurait jamais dû avoir de fin...
Le thème du film, devenu un classique de jazz, interprété par Miles Davis.
Impossible en lisant l'oeuvre de Felix Salten, de ne pas avoir en tête les très belles images du film de Walt Disney, les animaux dans la neige et toute la deuxième partie, qui ne comporte pas la mièvrerie de la première.
Mais au fond, cela n'a rien à voir. Ce n'est pas une lecture pour les enfants, et c'est ce qui m'a le plus frappée. On retient nombre de passages inquiétants, où l'Homme, omniprésent, présenté comme une sorte de divinité, effraie les habitants de la forêt qui vivent dans l'angoisse permanente de se faire tuer.
Si l'enfance de Bambi connaît des moments de joie et d'insouciance, le danger n'est jamais loin. Sa mère meurt lors d'une chasse épouvantable où toutes sortes d'animaux sont abattus et gisent sanglants, dans un tableau cauchemardesque.
Le jeune chevreuil, dans son errance au cœur de la forêt - sorte de voyage qui rappelle les méandres de l'inconscient humain - cherche en la figure du père le réconfort à ses angoisses et à acquérir une philosophie qui le protégerait du danger, au prix de toute interaction avec les autres. Bambi, à l'instar de l'Ancien, devient le Prince de la forêt et se mue dans un silence sombre et poétique, ultime défense contre la barbarie.
Certains y ont vu un lien avec la traque des juifs dans les années 1930 en Allemagne et le livre fut brûlé par les Nazis. Mais Salten ne l'avait écrit qu'en 1923, et c'est le gouvernement d'Hitler qui semble avoir donné une dimension symbolique supplémentaire à l'oeuvre, tristement visionnaire.
Le monde animal est recrée avec beaucoup de détails et un grand sens de l'observation. Pourtant, en humanisant les créatures, la frontière entre les deux mondes se brouillent, Bambi chevreuil ou Bambi enfant?
Ce qui a peut être donné l'idée à Walt Disney d'en faire justement l'ami des enfants...