lundi 3 janvier 2011

Musée: excursion à Orsay


                                                               Nègre du Soudan, C. Cordier


Il s’agissait presque d’une aventure ! Une bonne partie de la population européenne avait dû se réunir ce jour là à Paris et avec ma naïveté toute provinciale, je n’imaginais pas me battre pour apercevoir un tableau… Donc, inutile de dire que beaucoup d’œuvres étaient complètement voilées par la foule et que bien sûr, les plus célèbres ne laissaient entrevoir qu’un maigre coin de toile, trop indigeste pour pouvoir en apprécier tout le talent… C’est ainsi que pour distinguer le déjeuner sur l’herbe de Manet ou encore l’Eglise d’Auvers sur Oise  de Van Gogh, il fallait se hisser sur la pointe des pieds et garder une patience d’ange. My mistake, comme disent les Anglais, j’y retournerai un jour plus calme. 
  Il faut donc l’admettre, légèrement déçue des conditions de ma première véritable visite du musée d’Orsay (première, en exceptant l’exposition sur L. Gérôme), je me contentai d’errer parmi les sculptures de la grande galerie, étrangement délaissées par les touristes épuisés, assis sur les balustrades et ne remarquant pas même, dans le tournoiement des merveilles, les chefs d’œuvres de marbres étalées devant eux. J’aperçus les bronzes de Carpeaux et ses émouvantes esquisses en terre cuite, les membres blancs des femmes Grecques de Pradier …
  Mais surtout, et c’est ce que je retiendrai de cette visite ci, cette noble figure d’Afrique, intitulée Nègre du Soudan, de Charles Cordier, parmi deux autres (ô combien tranquilles au milieu de la cohue !), tout aussi remarquables. L’utilisation du marbre d’onyx – aux reflets des pays chauds - permet déjà la distinction de ce buste par rapport aux autres qui parsèment la nef. Mais c’est surtout cette noblesse des traits - ces lèvres si vraies, si sensuelles, ces yeux presque inquiets dans leur dignité solitaire - cette noblesse, dis je, transparente à travers le bronze, qui frappe le visiteur et l’intrigue. 
 Qui fut le modèle? Et notre esprit s’enflamme, s’éloigne pour des terres chatoyantes, des histoires de princes à l’ombre des oasis, d’esclaves rêveuses s’enfuyant dans la nuit, enveloppés d’une musique envoûtante. 
 Plus simplement, mais non sans quelque magie, le sculpteur semble être tombé sous le charme de ce joueur de tam tam, à Alger dans les années 1850. Il le fit poser et créa cette œuvre immortelle, intemporelle, célébrant la finesse d’un visage un peu farouche dans l’aspect du sourcil, un peu mélancolique et fatigué comme le montrent ses cernes, cette peau qui palpite sous le bronze glacé. 
 Et à travers la beauté d’un homme (disparu depuis plus d'un siècle), il représenta celle d’un peuple, d’un continent tout entier, méconnu par sa différence. Qu’est que cela montre ? La curiosité de l’artiste comme moyen de faire perdurer la beauté humaine, peut-être…

2 commentaires:

  1. Très bel hommage, Clémence, dans tes pérégrinations muséales, à Cordier, le sculpteur des Africains (qui ne sont d’ailleurs pas que des hommes: ainsi la splendide Venus africaine) dont la polychromie fut trop souvent méprisée au XXe siècle par la critique qui ne voyait plus que Rodin et la grande danseuse de Degas.
    S’agissant du modèle du Nègre du Soudan, Cordier lui-même apporte des précisions dans ses Mémoires : en 1847, alors qu’il travaillait à l’atelier de Rude, il rencontre Seïd Enkess, un ancien esclave devenu modèle.
    « Un superbe Soudanais paraît à l'atelier. En quinze jours je fis ce buste. Nous le transportâmes, un camarade et moi, dans ma chambre près de mon lit […] je couvais l'œuvre […] je la fis mouler et l'envoyai au Salon [….]. Ce fut une révélation pour tout le monde artistique. […] Mon genre avait l'actualité d'un sujet nouveau, la révolte contre l'esclavage, l’anthropologie à sa naissance ». Enorme succès au Salon, au point que la Reine Victoria en fait l’acquisition dès 1851 (le buste du Musée d’Orsay est une réplique).
    Ainsi, grâce à la main d’un sculpteur, l’esclave Seïd Enkess, tristement réduit à l’état de chose, dénaturé et déshonoré du fait même de sa condition, outre le fait qu’il assure la gloire à son démiurge, finit par connaitre lui-même une autre vie à Buckingham Palace… Comme dirait Auguste, « la farce est jouée ».

    Mais pour les amateurs de peinture, le nom de Charles Cordier, est aussi lié à l’un des plus beaux portraits réalisés par Ingres en 1811, portrait qui s’inscrit dans la veine de celui de Granet (peut-être connais-tu Aix?). Tu peux aller voir ce portrait au Louvre.
    Il est vrai qu’il ne s’agit pas du même Cordier (forcément il n’était pas né !). Mais tant pis,il faut toujours saisir l'occasion d'évoquer le plus grand peintre du XIXe!
    A bientôt, Clémence! François

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