lundi 8 novembre 2010

Portrait: Isadora Duncan



« Mon art » ne cesse t-elle de répéter dans son autobiographie (Ma Vie publiée après sa mort, en 1928) à propos de son métier.
   Qu’en reste t-il aujourd’hui ? D’elle-même, plus grand-chose : un film de quelques secondes la montre en train de virevolter lors d’un récital en plein air. Quelques photos dont celle ci-dessus (signée A. Genthe), très élaborées mais témoignant si peu de ses descriptions enflammées qu’elle rédige dans son livre. Il est vrai que sa danse était révolutionnaire par la libération prônée des corps presque nus et des mouvements d’exaltation laissant transparaître sa vie intellectuelle. Son inspiration puisait dans les fresques du Parthénon, dans les lancées enivrantes des nymphes Antiques disparues… Sa recherche était celle de la beauté… Isadora, artiste éphémère, dont le talent fut décrit par elle seule puisque sur les quelques instants où elle apparaît, filmée par la caméra, on pense voir une femme ivre ; une danse désinhibée à laquelle se mêle une joie presque folle… Comment croire en ses aspirations, on la voit si peu danser ! Et aujourd’hui, la danse contemporaine a effectué un long parcours depuis sa contribution, parcours où son nom ne figure pas aussi souvent qu’on aurait pu le penser : qui danse encore comme elle ? Plus grand-monde.
  Depuis qu’elle a quitté les Etats-Unis où elle est née en 1877, elle compose ses chorégraphies personnelles, très jeune, dans les petits appartements qu’elle occupe entre New York, Londres et Paris avec sa famille jusqu’au milieu des années 1900. Et bien sûr, selon son autobiographie, c’est elle qui déjà toute petite nourrit les siens grâce à son astuce et son audace. Au fur et à mesure que les pages du livre se tournent, on la soupçonne de plus en plus de romancer son histoire, avec une légère touche de mensonge et beaucoup de romantisme : l’enfance pauvre, l’éveil à travers les arts et la libération qu’ils procurent, les amants dont les noms sont tus qui se meurent pour elle et l’expérience révélatrice de ses accouchements. Le plus grand drame de son rôle de mère, la mort de ses enfants reste néanmoins une vérité certaine et douloureuse qu’elle subit d’étrange manière en compagnie d’Eleonora Duse, la rivale Italienne de Bernhardt, celle-ci lui répétant constamment que pleurer est nécessaire… Tout est vécu à l’extrême chez Isadora, aussi bien sa danse – lorsqu’elle décide d’improviser sur la Marche Funèbre de Chopin – que les évènements pénibles de sa vie privée. Mais elle est Isadora Duncan, une artiste réelle dont l’exaltation frôle la perfection artistique ; on ne peut que l’admirer. Il est alors évident que son influence sur le XXe siècle se concrétise par la création d’une nouveauté incontestable, susceptible d’évoluer par la suite. Elle-même cependant réalisa à quel point sa danse, telle qu’elle voulut l’enseigner pendant des années, ne pourrait se perpétuer longtemps après sa disparition par l’indiscipline même de ses élèves qui réclamaient plus d’indépendance et ne vibraient pas de manière aussi absolue qu’elle lorsqu’elles apparaissaient sur scène. "Son art" n'est pas intemporel. 
  Il est certain qu’Isadora possédait une réelle sensibilité artistique ; d’abord par sa curiosité toujours grandissante pour le beau qu’elle poursuivait sans cesse à la fois dans la musique mais aussi dans la peinture, au cours de ses voyages. Et pour sa grande participation à la création de la danse contemporaine. Elle l'aurait même inventée, mais personne n'ose s'en souvenir, tant les mouvements paraissent démodés, aujourd'hui. Il est vrai que libérer les corps des ballerines, se mouvoir comme des bacchantes ou nymphes Grecques… c’était aussi choquer son époque, et faire avancer les choses. Mais le fait de mépriser ceux qui étaient réfractaires à sa danse en général parce qu'ils ne la comprenaient pas (comment les en blâmer?), c’est incontestablement très prétentieux, surtout quand la majorité des dits réfractaires étaient composés de ses compatriotes, les Américains ! En plus de ce dédain, elle publie dans son autobiographie des extraits de lettres d’admirateurs, le summum de la prétention. Il semble que l’art et l’orgueil ne fassent pas bon ménage : son plus grand défaut ayant été celui de juger elle-même son talent en oubliant les critiques des autres, « son art » en sortira toujours amoindri, avant sa disparition probable dans la mémoire artistique.

4 commentaires:

  1. Belle présentation, Clémence, de cette figure indépendante et émancipée, parfois difficile à saisir, mais franchement irritante par l’image qu’elle donne d’elle-même dans son autobiographie.

    « Nous devons travailler à nous rendre très digne de quelque emploi : le reste ne nous regarde point, c’est l’affaire des autres » écrivait la Bruyère dans ses Caractères. Et c’est bien là, en effet, le principal écueil de Ma vie d’Isadora Duncan, dont la naïve prétention autoproclamée, finit par devenir pathétique. Ecrire sa vie, c’est toujours très délicat, surtout lorsque l’on veut prétendre à une vérité unique qui rendrait obsolète d’autres biographies à venir. Par définition, un personnage public ne peut s’appartenir tout à fait.

    Et tu précises avec raison que le summum de la prétention est encore d’insérer soi-même des extraits de lettres ou témoignages d’admirateurs… Manie ridicule que nous retrouvons dans les Mémoires d’outre-tombe, où Chateaubriand utilise son immense talent à célébrer sa vanité. Passionnant pour le lecteur !

    « Un danse désinhibée à laquelle se mêle une joie presque folle ». Jolie formule, comme une lointaine fille des horizons nietzschéens...

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  2. Et elle demeure pourtant un personnage incontournable du début du XXe siècle... Pour quelles raisons? Comme je l'ai dit, il est facile d'énumérer ses défauts mais il l'est moins de compter ses qualités puisque les preuves ont disparu. Mais ce qui finalement la rend attachante, malgré sa prétention que tu soulignes, c'est son esprit embrumé, son instabilité inquiétante, ce doute permanent qui exista chez elle (ce besoin de se rassurer par rapport à son métier), enfin, cette manière d'échapper à ses problèmes à travers sa danse, comme une vraie névrosée. Et puis, selon les apparences, je ne m'avancerai pas beaucoup en disant qu'il s'agissait certainement d'une femme influençable, qui se croyait libre mais qui dépendait des autres; il a suffit qu'elle épouse le premier poète communiste venu pour qu'elle adhère en même temps à une idéologie à laquelle elle n'avait sans doute jamais pensé avant, une preuve évidente de son instabilité psychologique selon moi. Mais c'est justement pour ces caractéristiques qu'elle devient aussi intéressante. Je te remercie beaucoup pour ce premier commentaire sur mon blog qui complète mon article, j'étais sûre que tu allais me parler de Chateaubriand, j'y avais aussi pensé! A bientôt sur ton site!

    Brebis Rose

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  3. Isadora Duncan a pour elle la liberté qu'elle s'est octroyée à une époque où les femmes n'avaient pas le droit de vote; elle dansait sans entrave d'aucune sorte ni physique ni morale. Elle apparait prétentieuse aujourd'hui mais finalement elle a aussi partagé dans ses mémoires ses émotions et ses cauchemars.
    C'est une forme d'honneteté que je ne peux m'empêcher d'admirer.
    Merci de nous parler de ces personnages un peu oubliés.

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  4. ...et en a retiré ainsi le dit sentiment de supériorité qu'on lui reproche! Mais il ne s'agit pas de détruire cette artiste et Cath nous remet dans le droit chemin en rappelant le contexte social du début du XXe siècle; en effet, Duncan s'est aussi battue à travers sa danse et a participé à l'émancipation féminine qui ne cessera de s'accroître jusqu'à ce que les femmes obtiennent déjà ne serait-ce que le droit de vote... Merci beaucoup à Cath de sa contribution qui rend le tout cette fois-ci encore plus complet!?

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